Depuis le déclenchement de la pandémie due au coronavirus, le débat ne se termine pas sur les scénarios possibles pour sauver le tourisme, l’un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire. La stratégie dévoilée récemment par le ministère du Tourisme et de l’Artisanat pour la relance post-Covid en est l’exemple et ravive encore une fois les tensions entre partisans et opposants. Mais de l’avis de Amel Djait, le plan de sauvetage du secteur touristique pourrait se résumer en deux actions : travailler tous ensemble et s’engager dans une réforme sans précédent. Interview.
La reprise tant attendue du secteur touristique se fera-t-elle sans risques à l’heure où le pays s’apprête à ouvrir son espace aérien et accueillir ses premiers touristes ?
Il faut le dire, dans les quatre coins du monde, le Zéro risque n’existe nulle part. C’est une réalité absolue et incontestable, indépendamment du pays, du secteur ou de la conjoncture. Mais de l’autre côté, laisser le pays à l’arrêt est aussi un énorme risque pour des raisons évidentes : la faillite des entreprises, la paupérisation des ménages, le chômage… qui sont déjà là et qui menacent la stabilité du pays. Donc, dans cette situation sans précédent, ce qui compte, c’est surtout la gestion des répercussions de la crise liée au Covid-19, car, comme on le sait tous, la colère gronde de toutes parts et il faut trouver des solutions rapides, efficaces et pérennes pour calmer la tension et stabiliser la situation.
Pour les touristes autant que pour les Tunisiens résidant à l’étranger (TRE) ou les locaux, il faut rassurer, sensibiliser, soutenir… Il faut aussi contrôler en avant si les protocoles sanitaires sont respectés. A ce stade-là, il faut un peu les alléger, car ils sont impraticables pour certaines structures, notamment les plus petites. Par contre, cela ne sert à rien de laisser certaines entreprises augmenter leurs tarifs de façon considérable comme les restaurants ou lounges, sous couvert de restriction de capacité, pour ensuite se rendre compte que les clients sont reçus en masse et sans aucun respect pour leur sécurité sanitaire.
Pour résumer, les destinations doivent apprendre à vivre avec ce genre de risques. Dans le monde, comme en Tunisie, on a appris à vivre et à gérer les menaces terroristes dans nos structures hôtelières et touristiques en général. Qui aurait dit qu’en Tunisie, on aurait des portiques de sécurité à l’entrée des hôtels, il y a 10 ans ? Aujourd’hui, une telle mesure est rentrée dans les mentalités et ça sera pareil avec les nouveaux outils de prévention et de gestion aux différents fléaux sanitaires.
L’Allemagne vient de prendre sa décision et déconseille à ses citoyens de se rendre dans 160 pays dont la Tunisie. Quel sera l’impact d’une telle mesure sur le secteur ?
Cette décision aura forcément un impact important sur le secteur touristique puisque beaucoup de professionnels ont des partenariats avec des tour-opérateurs allemands. Mais elle n’est pas encore définitive car le Deutscher Reiseverband (DRV), qui est l’équivalent de la Fédération tunisienne des agences de voyages et de tourisme (Ftav), a appelé le gouvernement allemand à enlever les restrictions. Donc, cela peut encore évoluer, mais on doit bouger rapidement et efficacement si on veut sauver ce qui peut l’être encore puisque le tourisme est le secteur le plus touché par le Covid-19. A ce niveau-là, il faut voir le verre à moitié plein, l’expérience a montré qu’on peut réussir une telle opération puisque pendant la pandémie, on a observé une montée en qualité au niveau de la profession (les établissements se sont organisés, l’administration est à l’écoute…). Donc, il existe un apprentissage qui est en cours et qui peut évoluer. Il suffit de passer à l’action avec en main une stratégie complète à mettre en œuvre pour sauver et développer efficacement le secteur.
M.Toumi a annoncé que les touristes ne seront pas placés en confinement à leur arrivée. Avec une telle mesure, y a-t-il risque de reprise de la pandémie ?
La seule chose qu’on sache, c’est qu’on ne sait pas vraiment! Les avis sont partagés et ceux qui soutiennent qu’il y aura une deuxième vague sont aussi nombreux que ceux qui affirment qu’il n’y en aura pas ! Ce qui me paraît préoccupant aujourd’hui, c’est que le confinement d’un peuple ne peut être le seul outil pour lutter contre la pandémie. Ce qui m’inquiète aussi, c’est qu’à part les 15 premiers jours, les Tunisiens n’ont plus respecté les protocoles exigés par l’Etat. Où sont les tests ? Où est la sensibilisation ? Qu’est-ce qui se passera si la pandémie repart de plus belle ? Comment allons-nous réagir ? Autant de questions qui méritent des réponses claires et précises.
Malgré les incertitudes liées à l’évolution de la pandémie, des milliers de logements de particuliers sont mis en location pour les vacances d’été. Comment ce créneau peut-il influer sur le secteur ?
Les hébergements de vacances sont pris d’assaut. Il n’y a plus un week-end de libre dans une maison d’hôte. La dimension, la proximité des hôtes, le fait de se sentir dans une maison est rassurant et c’est tant mieux! Maintenant, il y a aussi ces protocoles sanitaires qui sont limitatifs ! Comment exiger 50% de la capacité d’accueil d’un hébergement qui ne dépasse pas les 5 chambres. Une fois encore et comme souvent, c’est l’Etat lui-même qui pousse à la fraude par des décisions qui n’ont pas de sens ! Pis encore, certaines maisons d’hôtes hyper-rigoureuses et bien établies ont décidé d’abandonner la formule maison d’hôtes au profit de la location. Le concept même de l’accueil, du partage, de la générosité et de l’échange est torpillé par ces protocoles.
En ce qui concerne les locations, le créneau n’est pas né d’hier ! Cela s’appelait «Dar Khleaa» avant et cela continue…Il faut une réglementation plus légère, il faut alléger les taxes et pousser les propriétaires à faire leurs déclarations, contracter des assurances, protéger les consommateurs et les loueurs… Les plateformes de booking ont déjà commencé à mettre en place des normes, à structurer le marché… Rien que sur Airbnb, l’offre dépasse les 1.000 locations tous confondus et on retrouve la maison d’hôtes, le gîte, la location de prestige et celle bas de gamme, certains hôtels… Il y a donc lieu d’organiser, soutenir, former, contrôler, digitaliser et réguler toute cette offre. Chacun a un rôle à jouer. Les loueurs doivent s’organiser entre eux, se mettre en différentes catégories, batailler pour s’unifier et peser en vue de devenir un vrai segment. Aujourd’hui, une énorme partie des touristes de proximité (algérienne et libyenne) ne séjournent en Tunisie que dans ces formules d’hébergement. Ces derniers sont une partie des solutions et non du problème.
Peut-on réellement sauver la saison ?
Depuis des années, on se cache derrière la saison, pour ne pas attaquer les problèmes de fond ! Celle-ci est déjà entamée et peu importe ce qu’elle réalisera, elle ne sauvera pas le tourisme tunisien. On doit casser la saisonnalité des destinations. On doit réfléchir en termes de rentabilité, d’employabilité, d’attractivité, de qualité, de régionalisation… Ce qu’il faut sauver aujourd’hui, c’est le tourisme! Sauver notre héritage ! Sauver notre patrimoine, notre histoire… Le tourisme est gage d’ouverture pour notre pays et nous avons tout pour transformer notre potentiel en richesse et prospérité pour nous ! Nous avons un héritage à sauver et aussi à partager avec le monde ! Il nous faut travailler tous ensemble et nous engager dans une réforme sans précédent loin des tiraillements stériles et loin du nivellement par le bas qu’on observe ! Le changement et l’innovation doivent être ancrés dans l’ADN du secteur touristique. C’est révoltant !